ALBANIE 1982 - Rémy CAZALS

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Pourquoi aller en Albanie en 1982 ?
- pour connaître un autre pays, peu éloigné, mais qu’il faut contourner pour aller en Grèce si on descend, en Yougoslavie, par la route de la côte ;
- pour examiner un système autre que le nôtre ;
- parce que le précédent voyage en Chine, dans des conditions proches, a été un succès ;
- parce que c’est le décor des livres d’Ismaïl Kadaré.

Comment aller en Albanie en 1982 ?
Le pays est hors de tous les circuits des agences de voyage. Lettre à l’ambassade : pas de réponse. Nous allons à l’ambassade au cours d’un passage à Paris. On nous donne l’adresse de l’Association des Amitiés Franco-Albanaises. Nous sommes dans un groupe d’une vingtaine de personnes, formé en partie de militants très à gauche, mais pas seulement. Pour nous, il s’agit clairement d’un voyage d’étude ou, au moins, de découverte ; nous n’allons pas en Albanie pour nous tremper les pieds dans l’Adriatique.
Les notes qui suivent sont celles de 1982, sans modification. Aucun aspect n’est approfondi, en grande partie à cause de la déception ressentie.

Insigne représentant le drapeau albanais.
Carte de l’Albanie.

4 août
En avion : Paris-Zagreb, puis Zagreb-Titograd.
En car yougoslave, de Titograd jusqu’à la frontière ; à pied pour traverser la frontière (courte distance). Les relations sont tendues entre les deux pays à cause de troubles récents dans le Kossovo, province peuplée d’Albanais, mais appartenant à la Yougoslavie.
Le passage de la douane albanaise est compliqué : papiers, tampons ; il faut dresser la liste des livres apportés dans les bagages de chacun ; mais finalement assez relax dans un bureau orné du portrait d’Enver Hodja, meublé de larges fauteuils recouverts de housses.
Notre guide interprète : D.
Il fait nuit. Pleine lune au-dessus du lac de Shkodra, mais pas d’autre éclairage.
Shkodra. Hôtel vétusto-solennel qui rappelle la Yougoslavie de 1965-66 : des tapis, des odeurs, pas d’eau, divers problèmes de plomberie.

5 août
Avant le lever du jour, tacatac des chevaux sur l’asphalte.
Trois jeunes Albanais nous laissent leur place dans l’ascenseur bondé. Service du petit-déjeuner très lent ; portion congrue de café vraiment mauvais ; je pense aux personnages que Kadaré nous présente souvent « sirotant leur café ».

 
Shkodra, rue principale.
Shkodra, vue depuis la terrasse de l’hôtel.
Shkodra. Le carrefour au pied de l’hôtel. Propagande politique. L’immeuble à droite est surmonté d’un grand sigle du parti : P.P.SH.
Rue de Shkodra. Le personnage en blanc à gauche n’est pas une Albanaise.
Rue de Shkodra, hors du centre.
Rue de Shkodra, hors du centre.

Visite d’une exposition d’art populaire ancien et d’artisanat récent. Le célèbre Musée de l’Athéisme de Shkodra est fermé.
Maisons de plusieurs types ; pas de circulation, mais il y a un policier pour la régler. Petit jardin public occupé par des tables de café ou de restaurant. Buste d’Enver Hodja ? Vu de près, non, c’est Staline.

Près de Shkodra. Forteresse de Rozafat.
Paysage vu depuis la forteresse, le lac de Shkodra, pont moderne.
Versant pelé en face de la forteresse. Inscription à droite : PARTI-ENVER.
Mosquée du camp des Turcs qui assiégeaient la forteresse en 1478.

Visite de la forteresse à propos de laquelle le guide raconte la légende, chère à Kadaré, de la femme emmurée.
Retour en ville. Dans un espace vert pelé, au pied d’un pin, des hommes assis en tailleur mangent de la pastèque. Repas médiocre à l’hôtel, café de même à la terrasse, à l’abri d’une petite ondée. Des gosses en haillons viennent nous demander du chewing-gum.

Pont des Bushati (fin XVIIIe – début XIXe) près de Shkodra.

Départ en car vers Durres. Quelques notes sur le paysage agricole :
- irrigation omniprésente et variée : canaux creusés, canaux en ciment, aspersion, pompes actionnées par le moteur de tracteurs ;
- maïs, tournesol, vigne, moutons, vaches, dindons ;
- plus au sud : fourrages, oliviers en terrasses ;
- vers Vorë : tomates, légumes, fruits.
La zone touristique de Durres est située au bord de la plage, à quelque distance de la ville ; hôtel au confort minimum ; nourriture médiocre ; de gros Basques ont couvert les parois des toilettes collectives de slogans indépendantistes.
Que faire le soir dans cet espace réduit ? Marcher sur le bord de la route, dans un sens puis dans l’autre. En passant et repassant, nous pouvons voir la moitié supérieure de l’écran d’un cinéma en plein air, et entendre la bande son, musique héroïque et cliquetis d’armes blanches ; gros plans sur les horions et sur le visage de l’héroïne éperdue, qui sera sauvée au dernier moment. Des jeunes, perchés sur des arbres, sur des clôtures et sur le dôme d’un bunker, peuvent sans doute voir l’écran entier. Surprise finale : apparaît sur l’écran un « The End » pour le moins inattendu. Un film américain ?

6 août

Vue sur l'hôtel Adriatiku réservé aux dignitaires.

Le matin, les « organisateurs » décident que nous sommes fatigués par le voyage et que nous devons nous reposer au bord de la mer. Mais que peut-on faire ? Réponse : « nager, louer un parasol ou une barque… ». Point n’était besoin de venir en Albanie, nous pouvions aller à Narbonne-plage ! En fait, ce repos forcé et imprévu tient à ce que rien n’avait été organisé pour la journée.
Nous décidons de marcher en direction du sud, le long de la plage. Au-delà du ghetto touristique, s’élèvent des maisons individuelles, dans un espace boisé assez agréable. Mais il est clôturé et gardé militairement. Même par le bord de mer, pas question de passer, nous laisse entendre la sentinelle armée. Interrogé là-dessus, le guide D. nous explique qu’il s’agit d’un camp militaire. Je n’y crois pas : il s’agit, bien sûr, d’une villégiature réservée aux cadres.
Après-midi, réunion du groupe pour essayer de faire avancer les choses et d’établir un programme. Il n’en sort rien. Peut-on aller à pied, sans accompagnateur à la ville de Durres ? On ne peut nous dire ni oui, ni non, mais on nous conseille de l’éviter. Nous y allons. La ville n’est qu’à 4 km. Nous n’avons aucun problème. Nous rencontrons un autre membre du groupe qui, lui aussi, a entrepris la petite fugue. Il n’y a certes pas grand-chose à faire, mais nous avons marché, bu une bière, regardé les vitrines et un buste de Staline. Au retour, près d’un passage à niveau, un Albanais assis par terre nous salue et s’écrie : « Reagan : fascist ! »
Le soir, une petite équipe se réunit pour préparer les questions à poser demain, lors de la visite du combinat textile de Berat.

7 août
Départ pour Berat en car. Traversée de la plaine de Myzeqe, bonifiée depuis la Libération. Monument à une héroïne du travail, une jeune volontaire pour la construction de la ligne de chemin de fer, tuée dans un accident. Visite « au galop » de Berat.

Berat, la forteresse, murs et reste de minaret.
Paysage vu de la forteresse : cultures en terrasses.
Au pied de la forteresse : la ville de Berat.
Berat, en ville. Immeuble d’habitation et propagande politique.
Monument à la Libération et mosquée du Plomb.
Gros plan sur le monument : Enver proclame le gouvernement démocratique.
Mosquée du Plomb.
Berat est la ville d’Onuphre, peintre d’icônes et de fresques religieuses. On célèbre encore cette gloire locale.
 
Peinture religieuse d’Onuphre.

« Visite » du combinat textile de Berat, 6 000 ouvriers dont 75 % de femmes. Interdiction de photographier. Machines chinoises. Bruit infernal dans la salle de tissage. On nous explique :

  • 1) que c’est sans danger pour la santé des ouvrières ;
  • 2) qu’on est en train d’étudier des systèmes pour atténuer le bruit ; mais
  • 3) j’ai bien l’impression qu’on fait ces réponses à tous les visiteurs depuis plusieurs années.
L’ingénieur, chargé de nous piloter et de répondre à nos questions, n’en a visiblement aucune envie. Il préfèrerait parler de la Coupe du Monde de football qui vient de se terminer en Espagne, et que les Albanais ont suivie à la télé italienne. Mais l’équipe qui a préparé les questions sur le combinat voudrait des réponses… Soit : asseyons-nous à l’ombre chétive d’un arbuste… Protestations… On trouve une salle, pas du tout prévue pour cela. Rien n’a été organisé. L’ingénieur est pressé de s’en aller. Il répond vaguement à quelques questions. Pour aller plus vite, le guide D. décide de répondre lui-même, sans passer par la traduction et, comme il ne connaît pas les réalités concrètes de l’entreprise, il récite le catéchisme officiel. Nous sommes furieux.
Après le repas, tardif, à l’hôtel de Berat, on nous accorde une heure de « liberté » pour la sieste. Nous sommes quelques-uns à retourner dans la vieille ville, pour une nouvelle visite, toujours au galop à travers les ruelles.
Berat. Vue générale de la vieille ville au pied de la forteresse.
Berat, vieille ville. Maisons, mosquée.
Berat, vieille ville. Mosquée.
Berat, vieille ville. Vieilles maisons, vieux murs.
Berat, vieille ville. Ruelles.
Berat, vieille ville. Maison.
Maison type Berat, à l’exposition ethnologique de Tirana.
Berat. La vieille ville au pied de la forteresse

Retour à Durres.

8 août
Au petit-déjeuner, conversation sur Staline avec Tatiana, étudiante en médecine, assistante de D. Je lui dis que je reproche à Staline la dictature, les camps, les massacres. Elle répond que les Albanais voient en Staline le chef d’État qui les a aidés, et l’ami, l’homme qui a toujours discuté amicalement avec Enver Hodja.
C’est dimanche. Encore une journée à passer à la plage ! Celle-ci est encore plus envahie qu’en semaine car les habitants de Tirana arrivent par trains entiers. Mais la portion de plage devant l’hôtel Adriatiku est réservée aux étrangers, personnel des ambassades, qui viennent en voiture (mais toutes ne portent pas la plaque CD), accueillis par les pancartes : « À bas l’impérialisme ! À bas le révisionnisme ! », « Vive l’internationalisme prolétarien ! », « Vive le camarade Enver Hodja ! » Les employés des puissances impérialistes et révisionnistes posent leur pantalon sur le volant de leur voiture, et vont se tremper dans la mer albanaise.

Le mécontentement est tel au sein du groupe, qu’on nous octroie la visite du musée de Durres, bien qu’il soit fermé le dimanche. Le musée exalte le peuple illyrien. La directrice semble francophone, mais c’est D. qui « traduit » et présente une statue de femme dont le corps se termine en queue de poisson comme « le portrait d’une jeune fille illyrienne qui s’appelait Sirène ». La directrice lui lance un regard étonné, mais ne dit rien.

Durres. Le jardin du musée. Au fond, le port.
Durres. Le jardin du musée et le bord de mer.
Durres. Colonnade dans le jardin du musée.
Durres. L'amphithéâtre sous les maisons.
Durres. Vestiges d'une chapelle chrétienne dans l'amphithéâtre.
Durres. Stèle au musée.
Durres, musée. Statue drapée.
Durres, musée. Stèle funéraire turque.

Promenade en ville pour rejoindre le car. Quantité de monde venant de la plage ou commençant la déambulation méditerranéenne de fin d’après-midi. La plupart des gens sont convenablement habillés, mais quelques-uns en haillons. Beaucoup de jeunes, beaucoup d’enfants, peu de vieux. Dégustent des cornets de glaces. Des vélos, quelques motos. Incident : la moitié du groupe, avec Tatiana, se perd ; l’autre, avec D., poireaute en attendant. Cela n’arrange pas l’ambiance, D. ayant l’impression qu’il s’agit d’une nouvelle forme de contestation. Le pauvre garçon est plutôt sympathique, mais on a l’impression qu’il est coincé par des ordres stricts d’encadrer les étrangers, et qu’il en rajoute.
Retour au ghetto. Quand on nous annonce que, le programme ayant dû être modifié, nous resterons encore à la plage tout demain, c’est quasiment la révolution, sauf chez quelques inconditionnels du régime (rares). Un peu plus de la moitié du groupe décide d’effectuer, à ses frais, une visite de ferme d’État proposée par les hôtels.

9 août
Orage. Pluie diluvienne.
Conférence sur la santé par une professeur en fac de médecine qui nous dit qu’elle vient de passer un mois à la production agricole avec ses étudiants. En dehors de cela, discours officiel dénué d’intérêt.
Et toujours enfermés. Heureusement, nous avons les deux volumes de La nuit du Grand Boss, mais point n’était besoin de venir en Albanie pour lire Fruttero et Lucentini. Enfin, grâce à ces deux auteurs géniaux, le temps passe.
Nous marchons sur la plage après le repas de midi. Moins de monde que dimanche. Il ne reste que les vacanciers. Ils logent dans des cabanons sommaires, mais avec eau et électricité. Les cabanons appartiennent vraisemblablement à l’État ; les vacanciers y passent leurs deux semaines de congés payés. Sur la plage se déroulent des dizaines de matches de petit football, à quatre, six ou huit joueurs, avec des buts d’un mètre. De très rares filles jouent au volley. 90 % de ces sportifs de plage sont des hommes ou des garçons. C’est normal : c’est l’heure de la vaisselle ! Le soir, des orchestres jouent des airs qui rappellent les plages populaires françaises vers 1950.
Fin d’après-midi : visite à la ferme d’État « 8 Nentori », la première fondée dans le pays, en décembre 1944, dix jours après la Libération. Son nom évoque la date de création du parti : 8 novembre. Un responsable nous la présente : Ancienne propriété de beys locaux, vendue à une société italienne. Aujourd’hui, 4500 hectares, 5000 ouvriers, 11000 habitants. Subdivisions : secteurs, puis brigades de 40 ouvriers. Production : céréales, légumes, élevage laitier, tournesol, vigne. Forte augmentation des rendements grâce au travail idéologique du Parti ; à la diffusion des expériences à travers le pays ; à l’emploi des engrais chimiques et organiques ; à la formation permanente des ouvriers. Pas d’usines sur place : les produits sont livrés bruts à l’industrie. La ferme dispose d’écoles, crèches, cantines, médecins, commerces, palais de la Culture. La différence entre « 8 Nentori » et une coopérative, c’est que la ferme d’État est propriété du peuple tout entier, les ouvriers recevant un salaire fixe, tandis que la coopérative appartient à un groupe restreint, les revenus étant fonction des résultats.
Dans les bâtiments, panneau de classement des brigades d’après leurs résultats : avions, camions, charrettes, tortues.
Choses vues sur le terrain :

Ferme 8 Nentori. Vignoble (raisin cardinal). Sur la seconde, on voit nettement un des innombrables petits bunkers qui parsèment le pays et qui doivent permettre de repousser toute invasion.
Ferme 8 Nentori. Char à bœufs. Remarquer le joug.

10 août
Grand départ pour le Grand Sud : une expédition de trois jours. Le départ est fixé à 7 h 30. Mais les responsables du groupe oublient de se lever et affirment qu’il s’agissait de 8 heures. Le vrai départ a lieu à 8 h 15, mais lesdits responsables s’aperçoivent (heureusement assez vite) de l’oubli du paquet de passeports. Demi-tour. Départ réel 8 h 45.
Jusqu’à Fieri, à travers la plaine de Myzeqe : coton, riz, maïs. Canaux de drainage, chars à bœufs, travail à la faux.
Arrêt café à l’hôtel de Fieri. Parterres de fleurs et plantes grasses. Immeubles modernes, slogans.

L'hôtel de Fieri.
Fieri. Immeubles modernes.
Au centre de Fieri.
Au centre de Fieri.
Fieri. Affiche de propagande pour mettre en œuvre les décisions du Congrès du Parti.
Fieri. Feuille-foudre, sorte de dazibao, critiquant des comportements déviants.

Peu après Fieri, commence la montagne.

Pentes plus ou moins aménagées, vallée cultivée.
Passage à Tepelena, la ville d'Ali Pacha, représenté ici d'après Ismaïl Lulani.
Les Eaux Fraîches, entre Tepelena et Gjirokaster.

Arrivée à Gjirokaster. Repas à l’hôtel. Cuisine originale et bonne. Comme dessert, la spécialité de flan aux figues. Petit tour en ville.
De Gjirokaster à Saranda, toujours à travers la montagne, en pays peuplé de Grecs. Villages à flanc de paroi ; chapelles byzantines, cyprès, petits ponts en dos d’âne. Le « pont aux Trois Arches » de Kadaré serait dans les parages.

Panorama au col de Muzine, au-dessus de la plaine.

Arrivée à Saranda (nom grec). Le paysage rappelle Corfou, et l’île se trouve là, juste en face. On nous dit qu’une véliplanchiste aux seins nus en est arrivée, il y a quelque temps, et qu’elle a été renvoyée sans délai vers le monde capitaliste décadent. Dans la rue, sur le quai, les gens parlent grec ; tavernes, odeurs qui font penser aux Iles des Princes, c’est-à-dire à une Grèce qui n’est pas tout à fait la Grèce.
Hôtel tout neuf.

Saranda, depuis l'hôtel, le soir.
Saranda, depuis l'hôtel, le matin.
Saranda

11 août
Départ pour Butrint (voir le début du Grand Hiver de Kadaré, l’extermination des serpents avant la visite de Khrouchtchev). Le guide local, par le truchement de D., insiste sur le caractère illyrien de la ville. Nous laissons le groupe aller de l’avant, et nous discutons en français avec un archéologue albanais, ayant suivi des cours en France, qui nous tient un discours moins dogmatique, évoquant l’influence grecque, la coexistence de deux cultures, l’une en ville, l’autre à la campagne. Bon moment, mais trop court, de discussion directe. Pins, aloès, figuiers de Barbarie. Et les cigales ! Il fait chaud, mais moins lourd qu’à Durres.

Butrint. Murs archaïques.
Butrint. Théâtre.
Butrint. Fouilles en cours
Butrint. Fouilles en cours avec une main-d'œuvre d'étudiants en vacances.
Butrint. Basilique.
Butrint. Muraille et poterne dont le linteau est décoré.
Paysage à Butrint.
Au musée de Butrint, buste.
Butrint, musée. Statue drapée, sans tête.
Butrint, musée. Statue.

Repas à la ferme d’État de Xamil (en réalité apporté de Saranda). Corfou est là, juste en face, séparée par un chenal de 4 km. On ne visite pas la ferme. On ne voit que les plantations d’orangers.

Paysage à Xamil.

Retour à Gjirokaster par la même route qu’à l’aller.

Paysage, près de Gjirokaster. - Gjirokaster, vue depuis la citadelle.

Visite de la citadelle, dont une première forme remonte à 568, au prince Argyr qui a donné son nom à la ville. Reprise au XIIe siècle, puis aménagée par les Turcs, par Ali Pacha. Les habitants s’y réfugiaient lors des bombardements aériens de la Deuxième Guerre mondiale, situation décrite par Kadaré. Aujourd’hui, musée national des Armes : époque de Skanderbeg, Résistance 1939-44. Je remarque un martinet à eau pour écraser la poudre. Au sommet, sur un tertre, se trouve un insolite avion de l’US Air Force, avion espion intercepté en 1957, et retenu, tandis que le pilote était rendu à son pays. Interdit de photographier.
Le soir, après le repas, nous allons boire un verre dans un bistrot en ville et nous y retrouvons quelques membres contestataires du groupe. Le sympathique garçon de café parle français. Il est étudiant en dernière année de l’école vétérinaire et travaille pendant les vacances. Il a appris le français seul, sans professeur, car « le français est la plus belle langue du monde ».

12 août
Tandis qu’on nous impose la visite de la maison natale d’Enver Hodja, transformée en musée de la Libération, nous préfèrerions déambuler à travers Gjirokaster, la « ville de pierre » de Kadaré. Il nous reste peu de temps.

Gjirokaster. Maisons au pied de la citadelle.
Maison type Gjirokaster à l'Exposition ethnologique de Tirana.
Gjirokaster. Maison et mosquée.
Gjirokaster. Toits, minaret.
Gjirokaster. Mosquée, rue.
Gjirokaster. Devant l'hôtel : camion de fabrication chinoise.
Gjirokaster. Statue de deux héroïnes de la Résistance : Makbule Naipi et Persefoni Kokdhima.
Gjirokaster. Tableau d'honneur : avion, auto, tortue.

Retour à Fieri par la même route qu’à l’aller.
Visite d’Apollonia. Le guide local en fait l’historique. C’est une ville fondée par des colons grecs venus de Corinthe. Elle a connu un grand développement du IVe siècle avant au IIIe siècle après : sculpteurs, écoles de philosophie, de rhétorique, attirant des étudiants étrangers. Décadence à cause de la décomposition du système esclavagiste, de l’invasion des Goths, du changement de lit de la rivière qui la reliait à la mer. Le tremblement de terre de 350 a détruit la ville. Les recherches archéologiques ont été menées par une équipe française jusqu’en 1939. Les Français ont laissé sur place leurs trouvailles, mais les Italiens ont tout volé, et on ne sait plus ce qu’elles sont devenues.

Apollonia. Statue dans l'espace archéologique.
Apollonia. Chapelle byzantine. Restée ouverte au culte jusqu'en 1965.

Question à D. :
- Après 1965, a-t-on détruit ou fermé les lieux de culte ?
- On les a détruits, mais on a conservé ceux qui présentaient un caractère artistique.
- Personne ne s’y est opposé ? Les vieux en particulier ?
- Ils ont dit : « Vous allez voir la vengeance du Ciel ! » Mais rien ne s’est produit, alors ils n’ont plus rien dit.

Apollonia. Cloître.
Apollonia. Bouleuterion.
Apollonia. Dans l'espace archéologique.
Apollonia. Odéon.
Apollonia. Ménade, IVe siècle avant JC.

Retour vers Durres. Dans la campagne : des femmes bêchent ; un homme passe, sur un mulet qui porte aussi deux bidons de lait ; chars tirés par des bœufs ; des femmes ramassent des pastèques ; un tracteur laboure ; un canal coule entre un immense champ de coton et un immense champ de tournesol ; plantés tout le long de la route, les panneaux exaltent Enver, le Parti, le 8e Congrès (comme partout dans le pays).

13 août
Départ pour deux jours vers l’est.

Elbasan, centre ville.
Près de la ville se trouve le complexe sidérurgique commencé par les Chinois, mais laissé inachevé. Les Albanais reprochent aux techniciens chinois de les avoir abandonnés, exactement comme les Soviétiques. Aujourd'hui : 13 000 ouvriers.

Route de montagne.

Vue sur le lac d'Ohrid.
Pogradec. Promenade au bord du lac.
Plage de Pogradec.

Faute de toilettes publiques, quelques petits bunkers le long du lac ont subi une inéluctable reconversion, identifiable de loin à l’odeur qui s’en dégage.
En ville, peu de vieilles maisons, mais construction active de logements neufs.

Pogradec. Affiche de propagande pour l'Albanie socialiste.

Route de montagne vers Korça.

Aménagement des versants en terrasses ; culture d'arbres fruitiers.
Zone plate en bord de lac.
Un âne traverse tranquillement la route.
Bâtiments agricoles et travaux près de Korça.
Types de logements, propagande politique à Korça.

Visite d’une coopérative, près de Korça.

Coopérative près de Korça. Un aspect des bâtiments.

Le responsable a devant lui, sur la table, un livre d’Enver Hodja ; mais il ne l’utilise pas. Discussion difficile : problèmes de traduction, questions posées sans esprit de suite. Quelques notes :
- Production principale : céréales ; puis betterave à sucre, tabac, fruits, légumes, élevage.
- 85 % de la superficie sont irrigués, ce qui a permis de ne pas ressentir la sécheresse de cette année.
- La coopérative regroupe 10 villages, 6300 habitants dont 2560 travaillent à la production.
- Rapports de salaires de 1 à 1,5 ; on travaille huit heures par jour, six jours par semaine.
- Les lopins familiaux existent : 800 m2 ; légumes, fruits pour la famille, pas pour la vente ; pas d’élevage bovin ou porcin ; cette situation n’est que passagère.
- Des équipes de moissonneuses-batteuses travaillent en suivant le mûrissement des récoltes, selon l’altitude (entre 850 et 1500 m).
- Visite du musée d’un village de la coopérative : dans le passé, au temps des beys exploiteurs, la misère poussait à l’émigration en Roumanie, aux États-Unis, en Argentine ; le village a eu son premier tracteur en 1948 ; 85 % des habitants étaient illettrés.
- Des nuées de gosses, de 4 à 8 ans, nous entourent en récitant des listes de noms de joueurs de la Coupe du Monde : Maradona, Zico, Socrates, Platini, Zoff, Rossi, Cabrini, Rummenige, Schumacher (ici en faisant l’ébauche de coup de poing)…

Retour à Korça. Hôtel moderne. Promenade nocturne dans la ville complètement endormie.

14 août
Une heure de liberté à Korça. Promenade dans le quartier ancien : ruelles aux pavés disjoints, parsemées de crottin ; maisons hétéroclites de par l’âge, le style, les matériaux de construction ; ânes, charrettes ; toutes sortes d’ateliers et de boutiques ; un atelier de bâtier ; un caravansérail ; stridence d’une scie ; les femmes font la lessive dans les cours ; poissons, fruits, légumes au marché, cuisine de brochettes ; quantité de gosses partout.
Visite de l’usine de tapis, créée en 1947. Aujourd’hui 3000 ouvriers, en très grande majorité des femmes ; entreprise décorée par l’Assemblée populaire ; interdiction de photographier. On travaille de 6 h à 22 h en deux équipes, en musique. Certains métiers sont surmontés d’un petit drapeau rouge. Accueil sympathique des ouvrières.
Des membres du groupe réclament un arrêt à un cimetière de soldats français « morts pour leur patrie, 1916-1918 », comme dit une pancarte bilingue. Bien entretenu grâce à des crédits français. Beaucoup de noms arabes ou indochinois.

Repas à Elbasan. J’offre un café au chauffeur de notre car, Ali. Nous « parlons » italien. Il a été en France en 1980, chauffeur du car d’une troupe folklorique. Passé par Yougoslavie, Italie, Grenoble, Lyon. Il a été impressionné par la densité de la population motorisée, mais aussi par la discipline de la circulation. Il a vu la tour Eiffel, le Louvre, Versailles.
Retour à Durres plage.

15 août, dimanche
Plage ! On peut jouer au volley-ball, en louant un ballon. Mais : 1) il n’y a pas de ballon ; 2) plus tard, il y a un ballon… mais c’est un ballon de basket ; 3) encore plus tard, on finit par découvrir un ballon de volley-ball, mais il est à plat ; 4) pas découragés, nous finissons par obtenir qu’on nous le gonfle ! Alors, il nous reste peu de temps avant l’heure de la conférence.
Mais le conférencier n’est pas venu. Il a été « envoyé ailleurs ». D. fait trois fois le tour de la plage pour trouver un conférencier suppléant. En vain.
Nouvelle marée de baigneurs venus de Durres et de Tirana. Un policier refoule les Albanais de devant l’hôtel Adriatiku, zone réservée aux étrangers. Sans brutalité.
Après-midi, à pied, à Durres. Quelle est la situation des petits commerçants, des barbiers, du marchand de glaces avec sa carriole, du peseur avec sa balance ?

16 août
Tirana.
Zone industrielle avant d’entrer en ville : combinat textile Staline ; verrerie ; tuilerie ; industries alimentaires.

Visite d’un jardin d’enfants.

Tirana, jardin d'enfants. Récréation.
Tirana, jardin d'enfants. Groupe des enfants de 3 ans, sous le portrait d'Enver.
Tirana, jardin d'enfants. Une chanson de filles, tenant des poupées.

Les garçons chantent une autre chanson, avec des fusils. Autres chansons sur le travail : les Abeilles, le Petit Maçon…
Le deuxième groupe rassemble des enfants de 4 et 5 ans. Ils chantent :
Parti, tu es notre mère,
Tu es très cher pour nous,
Tu nous a libérés
Nous sommes prêts à nous sacrifier.

Autre chanson :
Enver, nous t’aimons de tout notre cœur…
Dans la classe : cubes, autos, bateaux, animaux, meubles de poupées, balance, tambourins, fleurs. Portrait d’Enver Hodja dans toutes les salles.

Usine Traktori
Sur les 5000 ouvriers, 46 % de femmes, qui nous font bon accueil, évoquant Mireille Mathieu et Aznavour ; elles se pâment devant un garçon du groupe qui ressemblerait à Cabrini, joueur de football italien vu à la télé. Si l’on pose une question technique, la réponse glisse immédiatement à la Coupe du Monde et, comme nous sommes français, à Platini, Tigana, Giresse, Genghini… Interdit de photographier à l’intérieur. Toutes les machines vues dans les vastes ateliers sont chinoises. Le tracteur fabriqué localement est la copie conforme du modèle chinois. Photos à l’extérieur

Usine Traktori. Affiche de propagande : le révisionniste chinois rejoint, dans la poubelle de l'histoire, le fasciste, le capitaliste impérialiste et le soviétique.
Bâtiments de l’usine Traktori et tableaux d’honneur.
Usine Traktori. Le tracteur de modèle chinois.
 

Repas à l’hôtel de Tirana. Le « meilleur café d’Albanie » : on peut le siroter comme Kadaré.

Tirana. Vers la place Skanderbeg.
Tirana. Le Musée historique.
Tirana. Statue de Skanderbeg.
Tirana. Immeubles d'habitation dans le centre.
Tirana. Statue et mosquée.
Tirana. Porche de la mosquée.
 

Brève promenade « libre » sur une avenue qui donne sur la place Skanderbeg.

Tirana. Statue de Staline.
Tirana. Statue de Lénine.

Un peu plus loin, se trouve le siège du Parti. Un garde interdit de passer sur le trottoir ; il faut s’écarter.
Visite de l’Exposition ethnographique : habitat (voir ci-dessus Berat et Gjirokaster), outils.

Exposition ethnographique. Costumes.


Montée au Monument des Martyrs qui domine la ville.

Paysage au Monument des Martyrs.
Le Monument des Martyrs.

Une bière dans un parc.
Retour à l’hôtel de Tirana pour le repas du soir. Vers 20 h, la place est noire de monde ; les gens déambulent, s’arrêtent pour discuter par petits groupes ; un peu plus loin, la statue de Staline se détache sur le fond rouge du coucher de soleil. Après le repas, vers 22 h, plus personne dans les rues. La place est vide.
Retour à Durres.

17 août
Départ définitif de Durres, avec passage à Tirana.
Tirana. Exposition des Arts figuratifs

Contre les tanks, à mains nues…
La Libération : la rue Mussolini débaptisée…
La Libération : le portrait de Hitler jeté au sol…
Héroïnes du travail…

Musée de l’histoire albanaise. Interdit de photographier. Techniquement très bien fait. Beaux objets antiques. Exaltation des Illyriens, de Skanderbeg, de la Résistance, de l’Albanie actuelle. Le roi Zog : on ne connaît pas. L’aide chinoise : elle n’existe pas. Musée gigantesque. Cela va être tout un travail de réadapter le contenu à chaque tournant politique.

Après le repas, départ vers le nord. Plusieurs membres du groupe, dont nous sommes, voulaient monter à Kruja, la ville qui résista si longtemps aux Turcs à l’époque de Skanderbeg (Kadaré raconte le siège dans Les Tambours de la pluie). Le détour n’est que de quelques kilomètres. Mais D. a des ordres : on ne va pas à Kruja.
Arrivés à Shkodra, nous avons le temps d’une assez longue promenade. Nous demandons à emprunter des vélos à l’hôtel pour revenir au pont turc (voir ci-dessus). Obstruction. En ville, on demande à un réparateur de vélos s’il ne peut pas nous en louer. Non, il ne fait pas cela. Mais il répond très gentiment. Donc, marche au hasard. Achat de figues.

18 août
Départ très matinal et passage de la frontière dans les mêmes conditions qu’à l’arrivée. Côté yougoslave, on vérifie si on n’emporte pas de la propagande anti-yougoslave.